Peut-on être salarié sans le savoir ?
On retrouve des différences fondamentales entre le contrat de service et le contrat de travail.
En effet, le contrat de travail est défini à l’article 2085 du Code civil du Québec :
2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur.[1]
La loi sur les normes du travailleur définit, de plus, le salarié à l’article 1(10°) comme « une personne qui travaille pour un employeur et qui a droit à un salaire; ce mot comprend en outre le travailleur partie à un contrat en vertu duquel:
i. il s’oblige envers une personne à exécuter un travail déterminé dans le cadre et selon les méthodes et les moyens que cette personne détermine;
ii. il s’oblige à fournir, pour l’exécution du contrat, le matériel, l’équipement, les matières premières ou la marchandise choisis par cette personne, et à les utiliser de la façon qu’elle indique;
iii. il conserve, à titre de rémunération, le montant qui lui reste de la somme reçue conformément au contrat, après déduction des frais d’exécution de ce contrat »[2]
Le contrat de service est plutôt défini à l’article 2098 du Code civil du Québec :
2098. Le contrat d’entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l’entrepreneur ou le prestataire de services, s’engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.[3]
La différence principale entre ces deux types de contrats est la présence obligatoire d’un lien de subordination prévue dans le cas d’un contrat de travail[4]. À première vue, cette différence s’avère évidente. Toutefois, certains travailleurs autonomes se retrouvent à la limite entre un contrat de service et un contrat de travail, et ce, sans même le savoir.
Il devient d’autant plus opportun de qualifier la nature d’un tel contrat, particulièrement dans un contexte actuel de crise sanitaire et économique, alors que la qualification d’un contrat peut engendrer plusieurs conséquences, notamment quant aux lois applicables dans une situation de résiliation de contrat ou de mise à pied. En effet, les lois en matière de droit du travail sont beaucoup plus restrictives qu’en matière de contrat de service en ce qu’elles visent à protéger les personnes vulnérables, soit les travailleurs. Notamment, les lois du travail prévoient des recours pour protéger les travailleurs d’un congédiement injustifié ou d’un accident de travail. Les dispositions prévues au Code civil du Québec en matière de contrat de service laissent beaucoup plus de libertés aux cocontractants.
En effet, l’article 2125 C.c.Q. prévoit notamment que « Le client peut, unilatéralement, résilier le contrat, quoique la réalisation de l’ouvrage ou la prestation du service ait déjà été entreprise ».[5]
Par conséquent, l’article 2125 C.c.Q. permet, à titre d’exemple, au client, de mettre fin au contrat de service à tout moment et ce, sans même un motif sérieux. La jurisprudence a tout de même établi des balises à l’exercice de ce droit, soit que la résiliation du contrat ne peut être exécutée de manière déraisonnable et incompatible avec les exigences de la bonne foi.[6]
On se retrouve toutefois dans une zone grise lorsqu’un travailleur autonome offre une prestation de service à un seul client dans le cadre d’une relation intuitu personae, c’est-à-dire une relation très étroite dont la prestation de service ne peut être effectuée par personne d’autre que cette dernière dans le cadre de ce contrat. Dans cette situation particulière, ce n’est pas parce qu’on se déclare travailleur autonome en vertu des lois fiscales qu’on en est nécessairement un.
La jurisprudence a statué à de nombreuses reprises à savoir que ce n’est pas parce qu’un contrat écrit nomme celui-ci de « contrat de service » qu’il doit nécessairement être qualifié ainsi. C’est plutôt le contenu du contrat et son application qui déterminent sa qualification juridique.
Il faut entre autres déterminer si le titre de travailleur autonome a été imposé ou s’il a souhaité bénéficier réellement de ses avantages.
Il faut donc analyser chaque situation de fait afin de qualifier un tel contrat.
Il faut ainsi étudier la manière dont est rémunéré le travailleur, sa prestation de travail et s’il y a présence d’un lien de subordination entre le prestataire de service et le client.
Entre autres, si le travailleur doit fournir personnellement les services requis, qu’il ne peut se faire remplacer et qu’il n’a aucun salarié, on se rapproche d’un contrat de travail.
Si au surplus le travailleur n’est pas propriétaire de ses instruments de travail, qu’il n’est pas incorporé, qu’il est contraint à un horaire de travail déterminé, que sa présence est contrôlée, qu’il agit exclusivement pour le compte d’un seul client, que les activités sont intégrées sur les lieux de travail du client et si le rendement et la discipline sont contrôlés par ce client, la situation peut grandement s’apparenter à celle d’un salarié plutôt que celle d’un travailleur autonome. [7]
À l’opposé, le prestataire de service bénéficie d’une liberté dans les moyens d’exécution de son contrat, et ce, dans l’absence totale de subordination entre le prestataire de services et son client.[8]
Dans l’arrêt Dicom Express Inc. c. Paiement, la Cour d’appel est venue préciser que le critère de subordination juridique incluait nécessairement une dépendance économique et hiérarchique, c’est-à-dire le pouvoir de donner des ordres et des directives, de contrôle l’exécution du travail et de sanctionner les manquements.
En principe le salarié ne peut être une société par actions. Ce n’est « que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles [qu’]on peut faire abstraction de la personnalité morale pour établir une relation employeur-employé »[9].
La Cour a même reconnu que « quiconque choisit de profiter des avantages qu’offre la constitution d’une société doit aussi en supporter les inconvénients […]»[10]
Par conséquent, si votre contrat de service a été résilié unilatéralement, il est tout de même possible de réclamer des dommages-intérêts, à condition de démontrer que l’exercice du droit de résiliation unilatérale a été exercé de mauvaise foi.
Finalement, à la lumière des critères établis dans le présent article, nous vous suggérons de consulter un avocat si votre contrat de service a selon vous, une qualification nébuleuse. Il est toujours recommandé de consulter un avocat avant de signer tout contrat relié à la prestation de service intuitu personae ou bien avant de s’incorporer afin de connaître les bénéfices et inconvénients associés à ce choix.
[1] Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1990, art. 2085
[2] Loi sur les normes du travail, R.L.R.Q. c. N-1.1, art. 2.
[3] Préc. Note 1, art. 2098
[4] Luc DESHAIES et Josée GERVAIS, « Contrat de travail ou contrat de service; où se situe l’ « autonomie » du travailleur autonome ? », Barreau du Québec – Service de la formation continue, Développements récents en droit du travail, 2012;
[5] Prec. note 1, art. 2125.
[6] Roch Lessard Inc. c. Immobilière S.H.Q., 2003 CanLII 32361 (QCCS
[7] Id.
[8] Agences Jacques Parent Inc. c. Meubles Concordia ltée, 2011, CanLII1664, QCCA;
[9] Dicom Express inc. c. Paiement, 2009 CanLII 611 (QCCA)
[10] Technologies industrielles S.N.C. inc. c. Mayer, 1999 CanLII13867, QCCA;
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