Une inspection préachat par un expert est-elle indispensable pour un vieil immeuble?
L’intérêt de la question en en-tête découle du fait que pour conserver son droit de recourir à la garantie de qualité, communément appelée la garantie contre les vices cachés, l’acheteur doit s’être comporté comme un acheteur prudent et diligent au moment de l’achat de son immeuble[1].
Bien qu’en principe un simple examen visuel « attentif et sérieux quoique plutôt rapide et non approfondi [2]» suffit pour l’acquitter de son devoir de prudence, certaines circonstances imposeront à un acheteur de recourir à une inspection professionnelle avant l’achat d’un immeuble. Ce sera le cas lorsque l’examen sommaire révèle des signes indicateurs de vices potentiels qu’il ne peut identifier seul ou lorsque le vendeur lui dénonce des faits inquiétants qu’il ne peut ignorer[3]. La jurisprudence est toutefois moins précise en ce qui trait à l’âge avancé d’un immeuble.
La Cour d’appel a déterminé que l’âge est un facteur devant mener à une appréciation plus sévère de la norme de prudence et de diligence. En effet, on affirme que l’acheteur « prudent et avisé doit examiner très soigneusement un vieil immeuble ; ne pas examiner les effets de l’âge sur les composantes peut constituer une imprudence. » [4] S’il veut préserver son droit au recours en garantie contre les vices cachés, l’acheteur d’un vieil immeuble doit donc faire preuve d’une prudence particulière.
Cela dit, conclure que cette prudence particulière oblige nécessairement le recours à une inspection professionnelle ne semble pas être le juste raisonnement. Dans la décision Roberge c. Lachance, la Cour supérieure affirme qu’un acheteur n’a pas d’emblée l’obligation de recourir à un expert lorsqu’il s’agit d’une vieille maison[5]. On précise que le « seul fait qu’il s’agisse d’un immeuble d’un certain âge ne constitue pas en soi un indice nécessitant de pousser plus loin l’investigation par une demande d’expertise » [6]. Dans l’affaire Martineau c. Dupont, la Cour supérieure tranche dans le même sens pour un immeuble âgé de 70 ans, en affirmant qu’en l’absence de signe de détérioration, l’acheteur n’avait pas l’obligation de faire inspecter le bâtiment par un spécialiste[7]. Il est vrai que la jurisprudence a rejeté des recours en garantie de qualité lorsque l’âge de l’immeuble imposait une inspection plus vigilante et accrue de l’acheteur. Or, dans la décision Brousseau c. Hudon, la Cour supérieure passe en revue plusieurs de ces décisions et souligne que dans ces cas, les acheteurs s’étaient faits dénoncer par les vendeurs des faits qui devaient susciter des soupçons ou des indices devaient retenir l’attention des acheteurs lors de leur inspection sommaire[8].
À la lumière de ce qui précède, il semblerait qu’en l’absence de signe ou d’indice de détérioration, de vieillissement anormal ou de quelconque vice potentiel, la prudence particulière de l’acheteur face à un vieil immeuble n’imposerait pas, à elle seule, une inspection préachat par un expert. Pourtant, certains continuent d’utiliser l’âge de l’immeuble comme une circonstance devant justifier un acheteur prudent à recourir à une inspection professionnelle. La doctrine souligne d’ailleurs la tendance qu’ont certains juges à revenir à l’ancienne règle du Code civil et faire de l’inspection professionnelle la norme de prudence et diligence[9]. Il importe toutefois de préciser que lorsqu’il s’agit d’un immeuble centenaire, une expertise pourrait être de mise malgré l’absence d’indice inquiétant sur l’état de l’immeuble[10].
Quoi qu’il en soit, procéder à une inspection par un expert avant l’achat d’un vieil immeuble sera toujours vu d’un bon œil par les tribunaux advenant un éventuel recours en garantie de qualité. Il faut retenir que chaque cas demeure un cas d’espèce et que les décisions sur le sujet peuvent donc varier d’une situation à l’autre.
Hugo Millette-Tremblay, étudiant en droit
Juriseo Avocats
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[1] Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art. 1726 CCQ (ci-après le « C.c.Q. »).
[2] Marcoux c. Picard, 2008 QCCA 259, par. 21.
[3] Pierre-Gabriel JOBIN et Michelle CUMYN, La vente, 4e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2017, par. 173.
[4] Paulin c. Gauthier, 2014 QCCA 1897, par. 4 ; Thériault c. Martin, 2020 QCCA 1294, par. 10.
[5]Roberge c. Lachance, 2014 QCCS 757, par. 53 à 58
[6] Roberge c. Lachance, préc., note 5, par. 55.
[7] Martineau c. Dupont, [1999], no AZ-99022102, p. 13-14 (C.S.)
[8] Brousseau c. Hudon, 2013 QCCS 4804, par. 74 à 137.
[9] P.-G. JOBIN et M. CUMYN, préc., note 3, par. 173.
[10] Bernard c. Benoît, 2020 QCCS 1572, par. 115-116.