Il s’agit d’une question qui est présentement sur toutes les lèvres depuis quelques jours, et ce, depuis les dernières déclarations du Premier Ministre à ce sujet, particulièrement dans les milieux familiaux où un jugement en garde et droit d’accès a été rendu.
La question a entre autres été traitée par le professeur émérite en droit de la famille de la Faculté de droit de l’Université de Montréal, Me Alain Roy dans un article de La Presse daté du 22 mars 2020, nommé « Covid-19 : maintenir la garde partagée pour le bien des enfants »[1].
Le Ministère de la Justice a ensuite publié un communiqué intitulé : « Des réponses à vos questions : les échanges de garde en période de pandémie »[2] dans lequel on répond aux diverses questions relatives aux ordonnances de garde dans un contexte de pandémie.
Afin de vous éclairer, nous avons décidé de faire le point sur la situation.
D’abord, les articles 32 et 33 du Code civil du Québec[3] énoncent ce qui suit :
32. Tout enfant a droit à la protection, à la sécurité et à l’attention que ses parents ou les personnes qui en tiennent lieu peuvent lui donner.
33. Les décisions concernant l’enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits.
Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1990
Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l’enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation.
La règle générale qui doit prévaloir dans notre droit familial québécois est que toutes décisions doivent être prises dans l’intérêt de l’enfant. Ainsi, sauf exception, les tribunaux reconnaissent qu’il est dans l’intérêt de l’enfant d’avoir accès et du temps de qualité avec ses deux parents.[4]
Il est d’ailleurs important de rappeler que le droit d’avoir accès à ses deux parents, appartient à l’enfant et non, aux parents[5].
Toutefois, comment concilier ces notions avec les consignes sanitaires actuelles de la santé publique requérant à tous de demeurer confinés à la maison et d’éviter tout déplacement non essentiel?[6]
En effet, certaines familles sont soumises à une ordonnance de la cour ou un consentement à jugement homologué valant jugement dans lesquels des modalités de garde et droits d’accès de leur enfant ont été établies et dont ils ont l’obligation de respecter.
Malgré les circonstances actuelles, le Ministère de la Justice a pris position en énonçant que « Les ententes préalables, que ce soit une ordonnance de garde ou de droits d’accès ou une entente convenue entre les parents, par exemple en médiation familiale doivent être respectées autant que possible »[7] à condition qu’elles soient compatibles avec les directives de la santé publique et du gouvernement.
En effet, « Chaque personne a un rôle à jouer afin de diminuer les risques de propagation des virus. Ceci s’applique également aux parents séparés et aux familles où un enfant peut avoir à se déplacer d’un milieu familial à l’autre »[8]. Le Ministère de la Justice demande d’ailleurs dans la situation actuelle d’ « utiliser son gros bon sens »[9] et faire usage de souplesse pour respecter les consignes émises par la santé publique.[10]
Le Ministère de la Justice a également manifesté que si l’un des parents, l’enfant ou quelqu’un dans l’entourage de la famille est déclaré positif à la COVID-19 ou a des symptômes, un isolement de quatorze (14) jours est exigé à tout moment afin d’éviter la propagation du virus.[11]
La même situation prévaut si un des parents, l’enfant ou quelqu’un de l’entourage est de retour d’un voyage qui s’est déroulé à l’extérieur du pays.
Le défaut de respecter l’isolement de 14 jours au retour d’un voyage est d’ailleurs passible d’une amende allant jusqu’à 750 000$ ou d’une peine d’emprisonnement, et ce, selon la Ministre fédérale de la Santé, Patty Hadju, en vertu des modifications de la Loi sur la mise en quarantaine[12] en vigueur depuis le 25 mars 2020.[13]
Ainsi, dans cette éventualité, l’enfant ne pourrait se déplacer vers le domicile de l’autre parent si ce dernier, l’un des parents ou toute autre personne demeurant à l’un ou l’autre des domiciles devait demeurer en isolement.
En effet, un objectif doit primer, soit éviter la propagation du virus pour protéger la santé publique[14]. Du même coup, on protège ainsi l’intérêt de l’enfant en assurant sa santé.
La santé publique a également émis comme directive d’éviter ou de réduire au minimum tout déplacement entre les différentes régions du Québec, ce qui est également applicable pour l’exercice de la garde et des droits d’accès.[15]
En cas de désaccord avec votre ex-conjoint(e) à l’égard des directives énoncées ci-haut, nous vous recommandons de contacter un avocat pour obtenir des conseils ou faire appel à un médiateur familial pour favoriser la discussion et trouver des solutions à l’amiable. Vu les circonstances actuelles, plusieurs médiateurs accrédités offrent même des services par vidéo-conférence de médiation.
Le Ministère de la Justice encourage également les parents à poursuivre leurs accès par l’usage des moyens technologiques tels que Skype, Facetime, Messenger ou tout autre moyen, et ce, tant que ce sera nécessaire. [16]
En conclusion, nous vous encourageons à être solidaire en cette période de crise et de favoriser le dialogue avec l’autre parent afin d’encourager la recherche active de solution à vos mésententes. En effet, les enfants demeurant en permanence à la maison doivent déjà gérer l’incertitude et l’anxiété que cause cette pandémie. De plus, seules les demandes considérées urgentes sont présentement entendues à la Cour Supérieure, et ce, afin d’éviter la propagation du virus[17]. Le choix de saisir les tribunaux est donc loin d’être une option optimale.
Il est néanmoins important de savoir que peu importe le parent qui exerce la garde, l’autre parent conserve l’autorité parentale qui est exercée conjointement et donc conserve ses droits de participer aux décisions relatives à l’enfant dont notamment, sa santé. L’article 605 du Code civil du Québec [18]énonce d’ailleurs ce qui suit :
605. Que la garde de l’enfant ait été confiée à l’un des parents ou à une tierce personne, quelles qu’en soient les raisons, les père et mère conservent le droit de surveiller son entretien et son éducation et sont tenus d’y contribuer à proportion de leurs facultés.
Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1990
Par conséquent, dans l’éventualité où un enfant mineur était déclaré positif à la COVID-19 et nécessitait des soins de santé, les deux parents, sans égard à celui qui avait la garde ou exerçait des accès avec son enfant, devrait être informé et participer aux décisions relatives aux soins requis, et ce, en vertu de l’article 14 du Code civil du Québec.[19]
14. Le consentement aux soins requis par l’état de santé du mineur est donné par le titulaire de l’autorité parentale ou par le tuteur.
Le mineur de 14 ans et plus peut, néanmoins, consentir seul à ces soins. Si son état exige qu’il demeure dans un établissement de santé ou de services sociaux pendant plus de 12 heures, le titulaire de l’autorité parentale ou le tuteur doit être informé de ce fait.
Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1990
À tout événement, nous croyons qu’il est dans l’intérêt de l’enfant de respecter les directives gouvernementales.
Si un doute subsiste, nous vous invitons à nous contacter afin que nous puissions répondre à vos questions.
Me Isabelle Chatigny, Avocate
JURISEO AVOCATS, Terrebonne (Québec)
ichatigny@juriseo.ca
[1] ALLARD, Marie, « Covid-19 : maintenir la garde partagée pour le bien des enfants », La Presse, 22 mars 2019;
[2] https://www.justice.gouv.qc.ca/coronavirus/questions-reponses-garde-enfants/
[3] Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1990 (ci-après « C.c.Q. »), art. 33
[4] MOREAU, Louise, « Les droits de garde et d’accès des parents : pistes de solution », Développements récents en droit familial 2009, Barreau du Québec – Service de la formation continue, 2009;
[5] Id.
[6] https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/coronavirus-2019/consignes-directives-contexte-covid-19/
[7] Prec., note 2;
[8] Id.
[9] Id.
[10] Id.
[11] Id.
[12] Loi sur la mise en quarantaine, L.C., 2005, ch. 20
[13] « Une amende salée ou la prison pour les voyageurs qui ne s’isolent pas », Radio-Canada
[14] Prec., note 2
[15] Id.
[16] Id.
[17] https://www.justice.gouv.qc.ca/coronavirus
[18] Prec. Note 3;
[19] Id.