Vous vous demandez comment et pourquoi un premier ministre ou son gouvernement peut décréter un « état d’urgence » lui permettant du coup de prendre plusieurs mesures coercitives et restrictives imposées à la population sans passer par le processus habituel d’adoption des lois?
On sait que le processus législatif permettant d’adopter des lois peut être long et compliqué, de sorte que nous avons l’impression que le gouvernement met un temps fou à adopter des mesures. Cette situation est différente lorsqu’il est question d’« état d’urgence sanitaire » et voici pourquoi.
I. Loi sur la santé publique (R.L.R.Q. 2001, c. S-2.2) : contexte d’adoption en 2001
C’est en 2001, dans le contexte du l’arrivée du virus du Nil occidental au Canada, que la Loi sur la santé publique (ci-après la « Loi ») est été adoptée par l’Assemblée nationale du Québec pour maximiser la protection de la santé de la population et la mise en place de conditions favorables au maintien et à l’amélioration de l’état de santé et de bien-être de la population en général[1].
La Loi prévoit ainsi plusieurs mesures visant à permettre aux autorités de la santé publique d’exercer une vigie sanitaire au sein de la population et à leur donner les pouvoirs pour intervenir lorsque la santé de la population est menacée[2].
Il est donc essentiel de comprendre ce qu’est une « menace à la santé de la population » permettant entre autres d’accroître les pouvoirs du gouvernement durant une certaines période, et ce, sans l’assentiment de l’Assemblée nationale du Québec.
II. Qu’est-ce qu’une menace à la santé de la population?
Dans la présente Loi, on entend par une « menace à la santé de la population » la présence au sein de celle-ci d’un agent biologique, chimique ou physique susceptible de causer une épidémie si la présence de cet agent n’est pas contrôlée.
III. Obligations des organismes gouvernementaux et des médecins
Cette Loi prévoit également quelques obligations pour les ministères, les organismes gouvernementaux et même les municipalités locales, notamment l’obligation de signaler au directeur de santé publique du territoire concerné ou au directeur national de santé publique les menaces à la santé de la population dont ils ont connaissance ou les situations qui leur donnent des motifs sérieux de croire que la santé de la population est menacée[3].
De même, un médecin ou un établissement de santé qui soupçonne une menace à la santé de la population doit en aviser le directeur de santé publique du territoire[4]. En revanche, les pouvoirs du gouvernement sont accrus une fois que l’état d’urgence sanitaire est déclaré, lui permettant notamment d’imposer des mesures pouvant limiter les libertés individuelles.
IV. Déclaration d’état d’urgence sanitaire par le gouvernement
(i) Définition
Ce sont les articles 118 et suivants de la Loi qui traitent de l’état d’urgence sanitaire, définit comme étant une menace grave à la santé de la population, réelle ou imminente, exigeant ainsi l’application immédiate de certaines mesures visant à protéger la santé de la population.
(ii) Durée de la validité de la déclaration d’état d’urgence sanitaire
La Loi prévoit que l’état d’urgence sanitaire octroyant un pouvoir décisionnel rapide et efficace au gouvernement en matière de santé publique est valide pour une période maximale de dix (10) jours, renouvelable pour d’autres périodes maximales de dix (10) jours par le gouvernement, ou pour trente (30) avec l’assentiment de l’Assemblée nationale du Québec[5].
Une fois que le gouvernement a décrété l’état d’urgence sanitaire, il lui est dès lors possible d’imposer plusieurs mesures auxquelles la population doit se conformer.
(iii) Immunité judiciaire pour le gouvernement et les ministres
Les pouvoirs du gouvernement au cours d’une urgence sanitaire sont donc accrus et considérant la gravité des mesures pouvant être exigées, la Loi prévoit que le gouvernement et ses ministres ne peuvent être poursuivis en justice pour un acte accompli de bonne foi dans l’exercice ou l’exécution de ces pouvoirs.
En effet, la Loi permet en quelque sorte au gouvernement de limiter les libertés individuelles dans l’intérêt de la collectivité en contraignant la population à respecter des mesures jugées nécessaires en cas d’urgence sanitaire. Ces mesures doivent être prises dans l’intérêt de la population et certains individus en désaccord avec la « suspension » de leur liberté pourraient, sans cette immunité, attaquer en justice le gouvernement
(iv) Possibilité de forcer la population à recevoir des soins de santé, malgré un refus
En matière de soins de santé et vaccination, entre autres, il est également possible de contraindre une personne qui se refuse à recevoir un soin ou un vaccin obligatoire en obtenant un jugement de la Cour du Québec ou même des cours municipales des villes de Montréal, Laval ou Québec ayant compétence dans la localité où se trouve cette personne[7].
Ainsi, durant l’état d’urgence sanitaire, il pourrait être possible de contraindre un individu à recevoir un vaccin, même si cette personne refuse en raison de principes religieux ou de motifs personnels. La Loi a effectivement été rédigée dans le but de protéger toute la population et d’éviter par exemple que l’absence d’un vaccin sur un individu ne puisse mettre en péril la santé publique, plus particulièrement pour éviter qu’un individu qui refuse les soins obligatoires ne permette davantage la contamination des autres.
V. Sanctions pénales
Comme il s’agit de mesures sérieuses pouvant sauver des vies, la Loi prévoit des sanctions de nature pénale pour les individus qui font de fausses déclarations, notamment sur leur état de santé par exemple ou encore sur le fait d’avoir voyager à l’étranger. Le défaut d’un individu de déclarer une telle information est passible d’une peine minimale de 1 000,00 $ pouvant aller jusqu’à 6 000,00 $. Il est donc essentiel de collaborer et de déclarer tout séjour à l’étranger lorsque les autorités pour posent cette question.
VI. Conclusion
L’état d’urgence sanitaire est une situation exceptionnelle permettant au gouvernement d’ordonner rapidement des mesures efficaces sans l’approbation législative habituelle de l’Assemblée nationale du Québec.
Une loi similaire existe au niveau fédéral, à savoir la Loi sur les mesures d’urgence, L.R.C. 1985, C. 22, permettant au gouvernement du Canada d’ordonner des mesures pancanadiennes lorsqu’il n’est pas possible de faire face adéquatement à une situation de crise sous le régime des lois du Canada et qui met gravement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens et échappe à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces. Il faut comprendre que la Loi sur les mesures d’urgence a remplacé la Loi sur les mesures de guerre en 1988 et qu’elle n’a jamais été appliquée à ce jour, bien qu’envisagée lors de l’épidémie de la grippe A-H1N1 et actuellement envisagé pour combattre la pandémie de la Covid-19.
Dans tous les cas, ces lois à caractère coercitif accordent des pouvoirs exceptionnels au gouvernement pouvant violer les libertés civiles des individus et de certains groupes de personnes, dans l’intérêt commun.
[1]Loi sur la santé publique, R.L.R.Q. 2001, c. S-2.2, art. 1.
[2] Idem, art. 2.
[3] Ibid., art. 92.
[4] Idid, art. 93.
[5] Ibid., art. 119.
[6] Ibid., art. 123.
[7] Ibid., art. 126.