Dans l’affaire Habitations du Centre-Ville c. Tchatat[1], la Régie du logement se demande si elle doit résilier le bail d’une locataire qui a pris l’habitude de sous-louer son appartement à des utilisateurs de la plateforme Airbnb dans le but avoué de continuer à pouvoir payer son loyer.
Le Tribunal doit d’abord déterminer si la locataire a commis une faute contractuelle en changeant la destination des lieux du logement, ce qui constitue une violation de l’article 1858 du Code civil du Québec[2]:
1858. Ni le locateur ni le locataire ne peuvent, au cours du bail, changer la forme ou la destination du bien loué.
Le bail indique que le logement doit être utilisé à des fins résidentielles seulement. La locataire argue que la destination n’a pas changée puisque les sommes mensuelles perçues de la sous-location sur Airbnb sont inférieures au montant du loyer. Elle estime donc qu’elle n’exploite pas une entreprise et qu’en conséquence, elle respecte la destination initiale[3]. Le Tribunal rejette cet argument en rappelant que le caractère commercial d’une activité n’est pas pertinent lorsque vient le temps de déterminer si une personne exploite une entreprise ou non[4].
Pour savoir si la vocation résidentielle de l’immeuble est respectée, il faut plutôt voir si les personnes qui y séjournent ont l’intention d’y demeurer « de façon habituelle », conformément à ce que prévoit l’article 77 du Code civil du Québec[5]. Le Tribunal note que des dépliants touristiques sont visibles sur plusieurs photos du logement et que des mots se retrouvant sur la page Airbnb de l’appartement laissent à penser que celui-ci est loué à des voyageurs[6]. De l’avis de la régisseuse, les personnes qui louent un logement à des fins touristiques n’ont pas l’intention d’y demeurer « de façon habituelle »[7]. Elle conclut donc à un changement de destination, ce qui constitue une faute contractuelle de la part de la locatrice[8].
Or, en matière de responsabilité civile contractuelle, une simple faute n’est pas suffisante: la victime doit au surplus subir un préjudice. À cet effet, la locatrice allègue qu’en cas de sinistre, son assureur pourrait valablement refuser de l’indemniser puisqu’un assuré doit « déclarer toutes les circonstances connues de lui qui sont de nature à influencer de façon importante un assureur dans l’établissement de la prime, l’appréciation du risque ou la décision de l’accepter »[9]. Le Tribunal se range derrière cet argument, se disant convaincu que l’exploitation d’une entreprise est un facteur qui fait varier le montant d’une prime[10].
Au surplus, la locatrice affirme qu’à titre de propriétaire de l’immeuble, elle pourrait être reconnue coupable d’avoir contrevenu à la Loi sur les établissements d’hébergement touristique, qui interdit le genre d’activités pratiquées par la locataire sans qu’une attestation ait été délivrée[11]. Le Tribunal considère qu’il s’agit d’une possibilité réelle dont il faut tenir compte[12].
Bien qu’aucun de ces préjudices ne soient actuels, la régisseuse estime qu’ils sont suffisamment certains et sérieux pour justifier une intervention de la Régie[13].
La locataire ayant violé différentes dispositions législatives pendant près de deux ans, le Tribunal ne croit pas qu’une ordonnance de cesser d’exploiter l’activité en question sera efficace[14].
La résiliation du bail est donc accordée[15].
Gabriel Roussin-Léveillée, étudiant en droit
Juriseo Avocats
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[1] Habitations du Centre-Ville c. Tchatat, 2019 QCRDL 24413.
[2] Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991 (ci-après « C.c.Q. »), art. 1858.
[3] Habitations du Centre-Ville c. Tchatat, préc., note 1, par. 11.
[4] Id., par. 12-14.
[5] Art. 77 C.c.Q.
[6] Habitations du Centre-Ville c. Tchatat, préc., note 1, par. 21-23.
[7] Id., par. 27.
[8] Id., par. 29.
[9] Art. 2408 et 2411 C.c.Q.
[10] Habitations du Centre-Ville c. Tchatat, préc., note 1, par. 33.
[11] Loi sur les établissements d’hébergement touristique, RLRQ c. E-14.2, art. 37.[
12] Habitations du Centre-Ville c. Tchatat, préc., note 1, par. 42.
[13] Id., par. 46.
[14] Id., par. 49.
[15] Id., par. 50.