Question
Pourrais-je être poursuivi pour diffamation si j’utilise un hyperlien dont le contenu est diffamatoire?
Réponse
Vous ne pouvez engager votre responsabilité si vous vous limitez à référer l’hyperlien sans le commenter.
À l’opposé, si vous adhérez aux propos diffamatoires que contient l’hyperlien et que vous les commentez en ajoutant des éléments diffamatoires, vous engagez alors votre responsabilité.
Explications
L’hyperlien (« URL ») défini par la Cour suprême du Canada
L’application du droit des technologies de l’information (« TI ») au droit traditionnel est souvent très intéressante. La décision Cookes c. Newton est une décision de principe en matière de droit des TI. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada devait déterminer si l’incorporation d’hyperliens menant à des propos prétendument diffamatoires dans un texte équivaut à la « diffusion » de ces derniers. En l’occurrence, la figure de style utilisée par la Juge Abella est très efficace pour définir l’« hyperlien » :
L’hyperlien, procédé souvent employé dans les articles sur l’Internet, permet de mettre en évidence, souvent par soulignement, un mot ou une phrase et ainsi signaler sa fonction de portail menant à des renseignements connexes supplémentaires. En cliquant sur l’hyperlien, le lecteur accède à ces renseignements.
[…] Les hyperliens sont les synapses qui raccordent les différentes parties du World Wide Web. Sans eux, le Web serait une bibliothèque sans catalogue : remplie de renseignements, mais dénuée de tout moyen sûr de trouver ceux‑ci.
Qu’est-ce que la diffamation?
La diffamation est une allégation orale ou écrite qui porte atteinte, involontairement ou de façon délibérée, à la réputation d’une personne vivante ou décédée. Plus précisément, la Cour suprême a consacré la définition de la diffamation de la manière suivante :
Génériquement, la diffamation consiste dans la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables. (…) Elle implique une atteinte injuste à la réputation d’une personne, par le mal que l’on dit d’elle ou la haine, le mépris ou le ridicule auxquels on l’expose.
Selon une récente décision de la Cour supérieure, il importe peu que l’affirmation diffamatoire soit conforme à la vérité ou non. Si la véracité peut constituer, dans la mesure où l’intérêt public est en jeu, un moyen de défense, la vérité mal administrée peut également devenir une allégation diffamatoire.
Faire entrer une cheville carrée archaïque dans le trou hexagonal de la modernité
Traditionnellement, la diffusion de propos ou d’écrits diffamatoires bénéficiait d’une interprétation très large et libérale. Par exemple, il a été jugé que montrer du doigt une pancarte sur laquelle on pouvait lire des mots diffamatoires constituait une preuve de diffusion.
Cependant, la Cour ne pouvait appliquer un tel principe à l’Internet puisque dans cette hypothèse, il était évident qu’elle mettrait en péril le fonctionnement de l’Internet, voire le droit fondamental à la liberté d’expression qui est enchâssé dans notre Constitution :
En bref, l’Internet ne peut donner accès à l’information sans les hyperliens. Or, limiter l’utilité de ces derniers en les assujettissant à la règle traditionnellement applicable en matière de diffusion aurait pour effet de gravement restreindre la circulation de l’information et, partant, la liberté d’expression. L’« effet paralysant » que cela serait susceptible d’avoir sur le fonctionnement de l’Internet pourrait être lourd de conséquences désastreuses, car il est peu probable que les auteurs d’articles de fond consentiraient à courir le risque d’engager leur responsabilité en incorporant dans leurs articles des liens menant à d’autres articles dont le contenu peut changer tout à fait indépendamment de leur volonté. Compte tenu de l’importance capitale du rôle des hyperliens dans l’Internet, nous risquerions de compromettre le fonctionnement de l’Internet dans son ensemble. L’application stricte de la règle en matière de diffusion dans ces circonstances reviendrait à s’efforcer de faire entrer une cheville carrée archaïque dans le trou hexagonal de la modernité.
L’utilisation d’un hyperlien n’est pas une diffusion de propos ou d’écrits diffamatoires
C’est sous ces prémices que la Cour conclut que la simple référence à un hyperlien ne pouvait entrainer la responsabilité de la personne qui référait à ce lien. Plutôt que de conclure que l’utilisation d’un hyperlien constituait une « communication de propos ou d’écrits », la Cour jugea qu’il s’agissait plutôt d’un signalement de l’existence d’un propos ou d’un écrit :
L’hyperlien remplit donc la même fonction que le renvoi à l’égard du contenu auquel il mène. En effet, l’un et l’autre signalent l’existence d’une information sans toutefois en communiquer le contenu, et ils obligent le tiers qui souhaite prendre connaissance de ce dernier à poser un certain acte avant de pouvoir le faire. Qu’il soit beaucoup plus facile d’accéder au contenu d’un texte par le biais d’hyperliens que par des notes de bas de page ne change rien au fait que l’hyperlien en lui‑même est neutre sur le plan du contenu — il n’exprime aucune opinion et il n’exerce aucun contrôle sur le contenu auquel il renvoie.
Les cas où l’utilisation d’une URL dans un texte peut entrainer une condamnation
Selon la Cour, « le fait de mentionner l’existence d’un contenu et/ou l’endroit où il se trouve par le biais d’un hyperlien ou de toute autre façon, sans plus, ne revient pas à le diffuser. Ce n’est que lorsque la personne qui crée l’hyperlien présente les propos auxquels ce dernier renvoie d’une façon qui, en fait, répète le contenu diffamatoire, que celui-ci doit être considéré comme ayant été « diffusé » par elle ».
En conséquence, il se peut que l’auteur d’un texte voit sa responsabilité engagée pour avoir utilisé un hyperlien « si la façon dont il a renvoyé au contenu visé transmet un sens diffamatoire; en d’autres termes, non pas parce qu’il a créé un renvoi, mais plutôt parce que, pris dans son contexte, le renvoi se trouve à exprimer un sens diffamatoire. On pourrait conclure qu’il en est ainsi, par exemple, dans le cas où une personne incorpore dans son texte un renvoi qui répète le contenu diffamatoire d’une source secondaire ».
Conclusion
En résumé, la simple incorporation d’un hyperlien ne peut entrainer votre responsabilité, à moins que vous y laissiez prétendre un sens diffamatoire, et ce, sans égard à ce que l’affirmation soit véridique ou non.
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