Le droit d’appel est un mécanisme essentiel du système judiciaire québécois. Il permet à une partie insatisfaite d’un jugement rendu en première instance de demander à une juridiction supérieure de le réviser.
Toutefois attention! L’appel n’est pas qu’une simple révision du jugement de première instance et encore moins une deuxième chance pour une partie d’obtenir gain de cause.
Trouvant ses principales assises à l’article 30 du Code de procédure civile du Québec (ci-après le « C.p.c. »), le droit d’appel est un droit limité et balisé afin d’assurer l’efficacité et la cohérence du système judiciaire.
Le présent article vise à expliquer la portée de l’appel sur le fond et les conditions pour y recourir, ainsi que le type de questions susceptibles d’être soulevées devant la cour d’appel.
1. L’article 30 al.1 C.p.c. : L’appel de plein droit
Le droit d’appel sur le fond est prévu et balisé principalement par l’article 30 C.p.c. C’est au premier paragraphe de l’article que l’on retrouve le principe général d’appel :
30. Peuvent faire l’objet d’un appel de plein droit les jugements de la Cour supérieure et de la Cour du Québec qui mettent fin à une instance, de même que les jugements et ordonnances qui portent sur l’intégrité, l’état ou la capacité de la personne, sur les droits particuliers de l’État ou sur un outrage au tribunal.
Ainsi, selon l’article 30 C.p.c., l’appel est ce qu’on nomme « de plein droit » dès qu’un jugement met fin à une instance, c’est-à-dire au dossier.
En d’autres termes, l’appel de plein droit est un appel « automatique ». Il y a certes certaines conditions que nous verrons plus bas, mais en général, le droit d’appeler de plein droit permet à une partie de s’adresser à la Cour d’appel du Québec sans obtenir d’autorisation ou de permission au préalable.
2. L’article 30 al.2 C.p.c. : L’appel sur permission
Or, ce ne sont pas tous les appels qui sont « de plein droit ». Plusieurs situations requièrent qu’une permission d’appeler soit demandée à la Cour d’appel du Québec. Celles-ci sont également énumérées à l’article 30 C.p.c. aux paragraphes suivants :
Toutefois, ne peuvent faire l’objet d’un appel que sur permission:
1° les jugements où la valeur de l’objet du litige en appel est inférieure à 60 000 $;
2° les jugements rendus suivant la procédure non contentieuse qui ne font pas l’objet d’un appel de plein droit;
3° les jugements qui rejettent une demande en justice en raison de son caractère abusif;
4° les jugements qui rejettent une demande d’intervention volontaire ou forcée d’un tiers;
5° les jugements de la Cour supérieure rendus sur un pourvoi en contrôle judiciaire portant sur l’évocation d’une affaire pendante devant une juridiction ou la révision d’une décision prise par une personne ou un organisme ou d’un jugement rendu par une juridiction assujettie à ce pouvoir de contrôle ou sur un pourvoi enjoignant à une personne d’accomplir un acte;
6° les jugements rendus sur les frais de justice octroyés pour sanctionner des manquements importants;
7° les jugements qui confirment ou annulent une saisie avant jugement;
8° les jugements rendus en matière d’exécution.
Dans les cas énumérés précédemment, l’appel sera donc « sur permission ». Ainsi, avant qu’une formation de trois juges de la Cour d’appel entende l’appel, la partie devra tout d’abord présenter sa requête en permission d’appeler à un juge unique de cette même cour.
À l’occasion de la permission d’appeler, la partie devra démontrer que la question en jeu en est une qui « doit être soumise à la cour », soit :
- Parce qu’il s’agit d’une question de principe;
- Parce qu’il s’agit d’une question nouvelle; ou
- Parce que la question fait l’objet d’une jurisprudence contradictoire.
À titre d’exemple, une partie qui démontre que son droit d’être entendu (audi alteram partem) a été violé en première instance obtiendra souvent la permission de se porter en appel puisqu’il s’agit d’une question de principe. Les questions de droit n’ayant jamais été traité auparavant ou ayant été tranché de manière contradictoire par différents jugements sont également des questions qui permettront généralement aux parties de se porter en appel.
Une fois la permission d’appeler accorder, le dossier procède en appel devant la formation.
3. Portée de l’appel : quelles questions peuvent être soulevées?
Malgré ce qui précède et comme mentionné en début d’article, il est important de noter que l’appel n’est pas une nouvelle audition de l’affaire. Il s’agit d’un examen de la décision de première instance afin d’en vérifier la légalité, la logique et l’équité, en fonction des règles de droit applicables et des éléments de preuve au dossier.
En d’autres termes, pour que la Cour d’appel accueille une demande et révise un jugement, elle doit déterminer que le juge de première instance a commis une erreur dans son jugement.
En effet, puisque l’appel n’est pas une deuxième chance de plaider, un appel qui ne fait que reprendre l’argumentaire plaider en première instance en espérant un différent résultat fait fausse route. Plutôt, la partie qui se pourvoit en appel doit démontrer que le juge de première instance a commis une erreur, soit une erreur de droit, une erreur de fait ou une erreur mixte de droit et de faits. La détermination du type d’erreur aura un important impact sur l’appel puisque le pouvoir de la Cour d’appel varie selon l’erreur.
a) Erreur de droit
Les questions soulevant des erreurs de droit portent sur l’interprétation ou l’application du droit. Elles peuvent être soulevées librement en appel et la Cour d’appel a le plein pouvoir d’infirmer les jugements lorsque le juge de première instance a commis une erreur de droit.
À titre d’exemples d’erreurs de droit :
- Le juge a-t-il correctement appliqué les règles de droit pertinentes?
- Y a-t-il eu une mauvaise interprétation d’un texte législatif?
b) Questions de fait
Ces questions concernent l’évaluation de la preuve ou la crédibilité des témoins. Elles sont souvent très difficiles à gagner en appel puisque les tribunaux d’appel font preuve d’une grande déférence à l’égard des conclusions factuelles du juge de première instance. Il en est ainsi puisque les juges d’appel ne rencontrent pas les témoins et n’analysent pas eu même la preuve présenter au dossier.
Ainsi, l’intervention de la Cour d’appel n’est justifiée que si :
- Le juge a commis une erreur manifeste et déterminante dans son appréciation de la preuve.
Pour bien comprendre l’ampleur de ce fardeau, il y a lieu de rappeler que la Cour d’appel a défini l’erreur manifeste et déterminante de la manière suivante :
[9] Il est utile de rappeler les caractéristiques que doit présenter une erreur pour être qualifiée de « manifeste et déterminante » : il doit s’agir d’« une erreur évidente », d’« une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire », d’une erreur qui « tient, non pas de l’aiguille dans une botte de foin, mais de la poutre dans l’œil », d’une erreur qui ne se contente pas « de tirer sur les feuilles et les branches » en laissant « l’arbre debout », mais d’une erreur qui fait « tomber l’arbre tout entier »[1].
Il va sans dire qu’avec un fardeau si élevé, ce genre d’erreur est beaucoup plus rarement déterminé par la Cour d’appel.
c) Questions mixtes de fait et de droit
Finalement, les erreurs mixtes mettent en lumière les situations où une partie est d’avis que bien que le juge de première instance a correctement identifié le droit applicable, celui-ci a commis une erreur dans la façon dont il a appliqué les faits au droit.
Encore une fois, l’appel est possible, mais il faut également démontrer qu’une erreur manifeste et déterminante a été commise, ce qui rend la tâche beaucoup plus difficile.
5. Conclusion
Bref, l’article 30 C.p.c. encadre rigoureusement l’accès à l’appel en distinguant les appels de plein droit des appels avec permission. Pour maximiser les chances de succès, il est essentiel de cibler les erreurs de droit ou de démontrer que les conclusions factuelles sont entachées d’irrégularités sérieuses. Il ne s’agit pas d’un second procès, mais bien d’une sorte de révision judiciaire de la légalité de la décision rendue en première instance.
Finalement, il y a lieu de rappeler que l’appel doit absolument être entrepris dans les 30 jours de la décision rendue, à défaut, l’appel n’est plus possible, à moins de circonstances exceptionnelles.
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Vous envisagez interjeter appel d’un jugement? Il est primordial de consulter un avocat afin de déterminer si les conditions d’appel sont réunies et d’identifier les fondements juridiques pertinents à soumettre en appel.
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[1] Audet c. Payette, 2018 QCCA 309, para. 29, citant Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, para. 38 et 39.