La Loi sur les sociétés par actions québécoise (ci-après « Loi ») prévoit à ses articles 450 et suivant les Redressements en cas d’abus de pouvoir ou d’iniquité qui sont aussi connus sur le nom de Recours en oppression.
Les conditions d’ouverture du recours en oppression sont précisées à l’article 450 de la Loi :
450. Un demandeur peut s’adresser au tribunal en vue d’obtenir une ordonnance visant à redresser la situation lorsque, de l’avis du tribunal, la société ou une personne morale du même groupe agit abusivement ou s’apprête à agir abusivement à l’égard des détenteurs de valeurs mobilières de la société ou à l’égard de ses administrateurs ou de ses dirigeants, ou qu’elle se montre injuste ou s’apprête à se montrer injuste à leur égard en leur portant préjudice:
1° soit en raison de son comportement;
2° soit par la façon dont elle exerce, a exercé ou s’apprête à exercer ses activités ou par la façon dont elle conduit, a conduit ou s’apprête à conduire ses affaires internes;
3° soit par la façon dont les administrateurs exercent, ont exercé ou s’apprêtent à exercer leurs pouvoirs.
Loi sur les sociétés par actions, RLRQ c S-31.1, art. 450.
L’article 451 de la Loi précise ensuite les remèdes pouvant être obtenus dans le cadre d’un recours en oppression :
451. Le tribunal peut, à l’occasion d’une demande visée à la présente sous-section, rendre toute ordonnance qu’il estime appropriée. Ainsi il peut, notamment:
1° empêcher le comportement contesté;
2° nommer un séquestre;
3° réviser le fonctionnement de la société en modifiant les statuts ou le règlement intérieur ou en établissant ou en modifiant une convention unanime des actionnaires;
4° ordonner l’émission ou l’échange de valeurs mobilières;
5° faire des nominations au conseil d’administration, soit pour remplacer tous les administrateurs en fonction ou certains d’entre eux, soit pour en augmenter le nombre;
6° enjoindre à la société ou à toute autre personne d’acheter des valeurs mobilières d’un détenteur;
7° enjoindre à la société ou à toute autre personne de rembourser aux détenteurs la totalité ou une partie des sommes qu’ils ont versées pour leurs valeurs mobilières;
8° modifier, résilier ou annuler un contrat ou une opération auquel la société est partie et, le cas échéant, ordonner l’indemnisation de la société ou de toute autre partie à ce contrat ou à cette opération;
9° enjoindre à la société de lui fournir, ainsi qu’à tout intéressé, dans le délai qu’il fixe, les états financiers visés aux articles 225 et 226, ou ordonner qu’elle lui en fasse rapport sous la forme qu’il détermine;
10° ordonner l’indemnisation des personnes qui ont subi un préjudice;
11° ordonner la rectification des livres de la société conformément aux articles 456 et 457;
12° ordonner la dissolution de la société et sa liquidation lorsque celle-ci a des biens ou des obligations;
13° ordonner la tenue d’une enquête conformément à la section I;
14° condamner, non seulement dans un cas d’abus de procédure mais également dans tout autre cas où le tribunal le jugera approprié, toute partie aux procédures à payer, en tout ou en partie, les honoraires et autres frais de toute autre partie.
La société ne peut effectuer aucun paiement à un actionnaire en vertu des paragraphes 6° ou 7° du premier alinéa s’il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle ne peut ou ne pourrait, de ce fait, acquitter son passif à échéance.
Loi sur les sociétés par actions, RLRQ c S-31.1, art. 451.
Comme nous pouvons le voir, les remèdes sont vastes, voire même infinis. En effet, en précisant que « Le tribunal peut (…) rendre toute ordonnance qu’il estime appropriée » ainsi que par l’utilisation du terme « notamment » à l’article 451 de la Loi, le législateur n’a pas voulu limiter les remèdes à ceux énumérés à l’article 451, mais bien à tout remède que le tribunal estime opportun.
Dans cette même optique, l’article 452 de la Loi prévoit même que le tribunal peut rendre des ordonnances qui n’ont pas été demandées par la partie demanderesse (la partie oppressée) :
452. Malgré le deuxième alinéa de l’article 10 du Code de procédure civile (chapitre C-25.01), le tribunal peut, en vertu de l’article 451, rendre toute ordonnance qu’il estime appropriée, que cette ordonnance ait ou non été demandée par le demandeur. Dans le second cas, le tribunal doit toutefois donner aux parties l’occasion de faire leurs représentations sur le redressement qu’il envisage avant que l’ordonnance soit rendue.
Loi sur les sociétés par actions, RLRQ c S-31.1, art. 452.
Une illustration de l’étendue de ces pouvoirs est la récente affaire Craig Packaging Ltd. c. Montcorr Packaging Ltd.[1]
Dans cette affaire, Craig Packaging Ltd. (ci-après « Craig ») était une fondatrice et actionnaire de la société Montcorr Packaging Ltd. (ci-après « Montcorr »). Selon les faits mis en preuve dans le dossier, Montcorr avait été fondée en 1989 par un groupe de six (6) compétiteurs dans le domaine de la cartonnerie qui avaient décidé d’unir leurs forces afin de dominer le marché.
Ainsi, les six (6) compétiteurs avaient conclu des contrats d’approvisionnement avec Montcorr selon lesquels cette dernière s’engageait à s’approvisionner chez ses actionnaires pour une période de quinze (15) ans renouvelables, dont chez Craig.
Au deuxième renouvellement, soit près de trente (30) ans plus tard, un différend intervient entre les sociétés et Montcorr décide de ne plus renouveler le contrat d’approvisionnement avec Craig.
En réponse, Craig introduit un recours en oppression contre Montcorr où elle exige que le tribunal ordonne le renouvellement du contrat de distribution :
[8] Under the label of a request for an oppression remedy, Craig Packaging Ltd. (Craig Packaging), a company incorporated under the laws of Ontario, and one of 6 competing shareholders that joined efforts 30 years ago to create Montcorr Packaging Ltd. (Montcorr), a corrugated cardboard manufacturer located in Montreal, seeks the following declaratory and other relief against Montcorr:
DECLARE that Craig Packaging is entitled to appoint two directors of Montcorr;
ORDER Montcorr to enter into a separate Requirements Supply Agreement with Craig Packaging for the supply of corrugated cardboard for its Loeb division, on the same terms and conditions as the Requirements Supply Agreement entered with the other shareholders of the corporation; and
ORDER Beaumont to reimburse Montcorr all of the legal fees that were advanced or paid by the corporation in relation to the present file.
Craig Packaging Ltd. c. Beaumont, 2020 QCCS 367 (CanLII), par. 8.
Bien que l’utilisation du recours en oppression pour ordonner la conclusion d’un contrat semble être une nouveauté en droit québécois, l’Hon. Juge Barin (J.C.S.) précise qu’il ne fait aucun doute que le Tribunal a la compétence pour rendre une telle ordonnance :
[11] While there appears to be no precedent on the principal issue raised by Craig Packaging, there is no doubt that the powers of the court under section 451 of the Act are wide and comprehensive enough to cover the relief sought, and there is no misgiving that that section permits the court to intervene and fashion in appropriate circumstances any remedy it deems “fit” or fair and just.
Craig Packaging Ltd. c. Beaumont, 2020 QCCS 367 (CanLII), par. 11.
Cette décision est intéressante, puisqu’elle vient confirmer l’étendue des pouvoirs du tribunal en matière d’oppression. Alors que les recours en oppression visent notamment le rachat forcé des actions d’un actionnaire opprimé, cette décision vient confirmer que les tribunaux peuvent même imposer des relations contractuelles entre les parties. L’application de ce recours est particulièrement intéressante pour les consortiums (« joint venture ») ainsi que pour les sociétés qui décident d’unir leurs forces afin de consolider leurs positions dans un marché donné.
Ainsi, les sociétés oppressées bénéficient maintenant d’un outil législatif indispensable pour redresser une situation abusive ou injuste qui brimerait leurs attentes légitimes à titre d’actionnaire d’une société liée.
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Me Nicolas Archambault
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[1] Craig Packaging Ltd. c. Beaumont, 2020 QCCS 367 (CanLII)