Les tribunaux québécois peuvent-ils annuler la décision d’un établissement scolaire relativement à l’expulsion d’un élève? Pour répondre à cette question, il faut aller voir du côté des articles 34 (1) du Code de procédure civile et 33 du Code civil du Québec[1] :
34 (1) C.p.c. La Cour supérieure est investie d’un pouvoir général de contrôle judiciaire sur les tribunaux du Québec autres que la Cour d’appel, sur les organismes publics, sur les personnes morales de droit public ou de droit privé, les sociétés et les associations et les autres groupements sans personnalité juridique;
33 C.c.Q. Les décisions concernant l’enfant doivent être prises dans son intérêt et dans le respect de ses droits.
Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l’enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial et les autres aspects de sa situation.
Dans le présent cas de figure, il faut retenir de ces deux articles que la Cour supérieure du Québec a le pouvoir de renverser les décisions prises par les établissements d’enseignement si elles ne vont pas dans le sens de l’intérêt de l’enfant.
De la théorie à la pratique
Dans la cause F.M. c. Collège A[2], le Tribunal est justement appelé à statuer sur une demande d’injonction visant à annuler provisoirement la décision d’une école primaire privée de renvoyer un élève en raison de ses difficultés académiques.
En effet, dans cette affaire, l’établissement d’enseignement expulse un jeune de 9 ans puisqu’il obtient 59,2% en mathématiques alors qu’il lui faut la note de 59,5% (arrondi automatiquement à 60%)[3] dans ce cours afin de pouvoir accéder à la classe supérieure, conformément à l’article 2.2 du Règlement du Collège[4].
L’honorable Babak Barin, chargé de rendre la décision, annonce déjà ses couleurs au paragraphe 12 du jugement en tournant au ridicule la décision du Collège de renvoyer un élève pour une question de 0,3 point dans une seule matière.
L’injonction
Il faut noter que l’injonction interlocutoire provisoire est une mesure octroyée exceptionnellement puisqu’il s’agit d’un ordre du tribunal rendu urgemment, sur la base d’une preuve sommaire. La décision est donc temporaire, en attendant un jugement final. À ce titre, le juge Barin rappelle, dans l’affaire en question, les quatre critères qui doivent être respectés afin qu’une demande en injonction soit accueillie[5] :
1) L’urgence;
2) L’apparence de droit;
3) Un préjudice sérieux et irréparable;
4) Une balance des inconvénients qui penche en faveur du demandeur.
Premier critère : l’urgence
Dans le cas qui nous occupe, le magistrat en vient à la conclusion que le critère d’urgence est respecté. Effectivement, la demande en injonction est entendue en septembre alors que l’école est déjà commencée, les travaux affluent et les examens arrivent à grand pas[6]. Il est donc impérieux que l’enfant au coeur du litige débute son année scolaire afin de ne pas prendre du retard, d’autant plus que l’article 14 de la Loi sur l’enseignement primaire et secondaire public[7] commande à tout enfant âgé entre 6 et 16 ans une obligation de fréquentation scolaire.
Deuxième critère : l’apparence de droit
Au niveau de l’apparence de droit, l’honorable Babak Barin retient d’un rapport médical qu’à la suite de la décision du Collège d’expulser l’étudiant, ce dernier a évoqué de la tristesse et des pensées suicidaires liées à l’idée qu’il puisse perdre ses amis[8].
Au surplus, le médecin qui a rédigé le rapport conclut que la baisse des résultats scolaires de l’enfant durant sa quatrième année est due à des facteurs hautement circonstanciels : celui-ci a perdu son espace personnel pendant plusieurs mois puisqu’à la suite d’une inondation, sa famille et lui ont été relocalisés à des nombreuses reprises. Il ne pouvait donc étudier à un endroit qui lui était propre, ce qui a eu un impact significatif sur ses résultats académiques. Comble du malheur, l’enfant a également eu des troubles de vision durant la période en question[9].
Or, vers la fin de l’année scolaire, alors que l’enfant a été « relogé de manière stable et équilibrée, […] a retrouvé son espace personnel [et] s’est équipé de lunettes de vues adaptées »[10], ses résultats se sont améliorés drastiquement, retrouvant ainsi le niveau auquel elles étaient auparavant[11].
Notamment pour ces raisons, le Tribunal en vient à la conclusion qu’à première vue, il semble possible que la décision du Collège soit contraire au bien-être de l’enfant, donc en violation de l’article 33 du Code civil du Québec. Il y a ainsi une apparence de droit[12].
Troisième critère : le préjudice sérieux ou irréparable
De l’avis de la Cour, il est en outre indéniable que l’enfant souffrirait d’un préjudice sérieux ou irréparable s’il devait changé d’école puisqu’on lui demanderait de s’adapter à un nouvel environnement social et académique alors qu’il a déjà des troubles d’apprentissage[13].
Quatrième critère : la balance des inconvénients qui penche en faveur du demandeur
À nouveau, le Tribunal penche en faveur de la demande en jugeant qu’il serait davantage néfaste pour enfant avec des difficultés d’apprentissage de changer de milieu que le simple fait pour un établissement scolaire de garder dans ses rangs un élève qui était si près de la note de passage[14].
Puisque tous les critères sont respectés, le Cour supérieure accueille donc l’injonction et ordonne la réintégration immédiate de l’enfant au sein du Collège en attendant le procès au fond.
Gabriel Roussin-Léveillée, étudiant en droit
Juriseo Avocats
227, boul. des Braves, suite 201
Terrebonne (Québec) J6W 3H6
www.juriseo.ca | 1-877-826-6080
[1] Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01, art. 34 (1); Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art. 33.
[2] F.M. c. Collège A, 2019 QCCS 3800.
[3] Id., par. 9.
[4] Id., par. 6.
[5] Id., par. 35.
[6] Id., par. 41.
[7] Loi sur l’enseignement primaire et secondaire public, RLRQ, c. E-8.1, art. 14.
[8] F.M. c. Collège A, préc., note 2, par. 21 et 68.
[9] Id., par. 21.
[10] Id.
[11] Id.
[12] Id., par. 68.
[13] Id, par. 46.
[14] Id, par. 48, 49 et 50.