Plusieurs questions se posent quant à la survie de nos obligations à l’endroit de nos créanciers, alors que l’humanité tout entière vit une crise sanitaire sans précédent.
Alors que dans les manchettes du 23 mars 2020 la Presse titrait « Ottawa a reçu près de 930 000 demandes d’assurance-emploi la semaine dernière[1] », soit 10 jours seulement après la déclaration de l’état d’urgence sanitaire sur tout le territoire québécois[2], le gouvernement Legault a décrété la fermeture complète et totale, « à compter du mercredi 25 mars à 00:01 et jusqu’au 13 avril 2020, de l’ensemble des commerces et services non essentiels[3] ». Le Québec en entier est sur « pause[4] » à l’exception des services essentiels[5], et ce, jusqu’au 13 avril prochain.
Il est fort possible de croire que vous serez touché financièrement, tôt ou tard, par les mesures adoptées par le gouvernement, sous réserve de la durée de la « pause » décrétée par le premier ministre.
Plusieurs institutions financières et autres créanciers sont à pied d’œuvre pour prendre les arrangements qui s’imposent en pareille circonstance. En effet, dès le 18 mars 2020, le Mouvement Desjardins et les six plus grandes banques au Canada ont proposé un sursis de paiement « aux clients touchés financièrement par la pandémie »[6].
Mais qu’en est-il de l’obligation alimentaire pour enfant en temps d’urgence sanitaire? La COVID-19 est-elle un cas de force majeure libérant le débiteur de son obligation alimentaire de base pour le temps de l’urgence sanitaire?
Ainsi, en droit québécois, la « Force majeure » permet au débiteur de s’exonérer de ses obligations[7].
Toutefois, il s’agit d’une situation particulière qui s’analyse au cas par cas et le débiteur alimentaire doit toujours garder à l’esprit que la pension alimentaire de base pour enfant est versée pour le seul bénéfice de l’enfant, est présumée correspondre aux besoins de l’enfant[8] et est d’ordre public[9].
Maintenant, l’état d’urgence sanitaire décrété par le gouvernement le 13 mars dernier est-il un cas de force majeure au sens du Code civil du Québec?
Le législateur définit la force majeure comme suit :
Art. 1470 C.c.Q. : Toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d’une force majeure, à moins qu’elle ne se soit engagée à le réparer.
La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères.
Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991,
Ainsi, en avril 2009, l’état d’urgence a été décrété au Mexique pour cause de la grippe AH1N1 et notre Cour a qualifié de « force majeure » cet événement[10]. Donc, en appliquant le raisonnement de « force majeure » à la COVID-19, celle-ci prive-t-elle le débiteur alimentaire d’exécuter son obligation?
D’abord, la question de la force majeure est une question de fait, laissée à l’appréciation du Tribunal[11]. Ainsi, le débiteur alimentaire, en plus de démontrer tous les critères de la force majeure, devra démontrer que le fait ne lui est pas attribuable[12]. En effet, un débiteur ne peut se libérer de son obligation envers son créancier lorsque la « force majeure » lui est imputable[13].
Dans les circonstances actuelles, il va de soi que les gouvernements provincial et fédéral mettent tout en œuvre pour assurer un support financier à leurs citoyens pour le temps de l’état d’urgence sanitaire[14].
Également, le débiteur doit toujours avoir à l’esprit qu’une obligation devenue plus ardue à exécuter, pour cause, ne sera pas nécessairement analysée comme un cas de force majeure[15].
Ainsi, les mesures gouvernementales en remplacement de revenu[16] seront-elles suffisantes pour permettre au débiteur alimentaire d’assurer l’exécution de son obligation?
En toute circonstance, si le débiteur alimentaire éprouve des difficultés à respecter son obligation alimentaire à cause de la COVID-19, il devrait immédiatement aviser son créancier de la situation.
De plus, l’employeur qui retient à la source le montant de l’obligation alimentaire doit aviser le percepteur des pensions alimentaires lorsque l’obligation cesse d’être payable au débiteur[17].
Aussi, il va de la responsabilité du débiteur de payer directement au percepteur des pensions alimentaires les aliments dus au créancier. Donc, il va de soi que le débiteur doit aviser le percepteur des pensions alimentaires en cas d’interruption ou de cessation de la retenue de l’obligation alimentaire[18].
Pour conclure, après avoir avisé votre créancier alimentaire et le percepteur des pensions alimentaires de votre condition financière précaire, vous pourrez par la suite entreprendre les procédures requises pour faire réviser la pension alimentaire selon votre situation financière[19] et opposer à votre créancier alimentaire les changements de votre condition[20] pour tous les arrérages dus six mois avant le dépôt des procédures, sans quoi vous devrez justifier votre impossibilité d’agir[21].
En effet, un débiteur alimentaire peut s’adresser à la Cour afin de modifier un jugement qui accorde des aliments lorsque les circonstances le justifient[22]. Ainsi, quoique chaque cas est un cas d’espèce, la diminution substantielle de revenu est une circonstance valable pour s’adresser à la Cour et modifier le jugement ordonnant des aliments pour enfant[23].
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Me Jean-François Vachon, avocat
JURISEO AVOCATS
jfvachon@juriseo.ca
[1] <https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1683632/coronavirus-chomeurs-canada>
[2] <https://www.quebec.ca/premier-ministre/actualites/detail/le-gouvernement-du-quebec-declare-l-etat-d-urgence-sanitaire-interdit-les-visites-dans-les-centres-h/>
[3] https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/coronavirus-2019/fermeture-endroits-publics-commerces-services-covid19/
[4] <https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1682519/pandemie-covid-19-gouvernement-legault>
[5] <https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/coronavirus-2019/fermeture-endroits-publics-commerces-services-covid19/>
[6] <https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1672597/coronavirus-hypotheque-pret-desjardins-td-fermeture-banques>
[7] Art. 1693 C.c.Q. ;
[8] Art.587.1 C.c.Q.
[9] Droit de la famille — 092398, 2009 QCCA 1855, para.4 ;
[10] Lebrun c. Voyages à rabais (9129-2367 Québec inc.) 2010 QCCQ 1877 (division des petites créances) ;
[11]Compagnie d’assurance American Home c. Inter-tex transport inc., 1993 CanLII 4394 (C.A.) ;
[12] Baudoin et Deslauriers, La responsabilité civile, 8e édition, Éditions Yvon Blais p.748 et suivantes;
[13] Entreprises Beau-Voir inc. c. De Koninck, 2012 QCCS 3445, para. 195 à 212
[14] Programme d’aide temporaire au travailleur : < https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/aide-financiere/programme-aide-temporaire-aux-travailleurs/> et Plan d’intervention du Canada pour répondre à la COVID-19 : < https://www.canada.ca/fr/ministere-finances/plan-intervention-economique.html> ;
[15] 4381882 Canada inc. c. Riocan Holdings (Québec) inc., 2013 QCCA 327, para. 17 à 21 ;
[16] Programme d’aide temporaire au travailleur et Plan d’intervention du Canada pour répondre à la COVID-19 précité note 16 ;
[17] Art. 21 Loi facilitant le paiement des pensions alimentaires, RLRQ c P-2.2 (ci-après la « Loi ») et H. (N.) c. A. (No.), 2000 CanLII 17836 para. 6 ;
[18] Art. 17 de la Loi ;
[19] Art. 594 C.c.Q. ;
[20] Art. 596 al.1 C.c.Q. ;
[21] Art. 596 al.2 C.c.Q. ;
[22] Art. 594 al. 1 C.c.Q.
[23] Droit de la famille — 152307, 2015 QCCS 4315, para 27 à 37 ;