L’adage « nul n’est censé ignorer la loi » est bien connu, et ce, autant par les juristes que par les citoyens en général. Il s’agit d’ailleurs d’un principe qui est codifié à l’article 19 du Code criminel[1] et qui a fait son chemin dans l’histoire de la jurisprudence canadienne.
Mais jusqu’à quel point l’ignorance de la loi ne peut constituer une excuse valable ? Qu’en est-il si une personne chargée d’appliquer la loi donne des informations ou des conseils erronés à un individu, qui de bonne foi veut seulement s’enquérir de la légalité d’un geste potentiel?
La Cour suprême a répondu à ces questions dans le grand arrêt R. c. Jorgensen[2] en reconnaissant la défense d’erreur de droit provoquée par une personne en autorité. Pour être invoquée, cette dernière doit toutefois satisfaire à six (6) critères cumulatifs, qui sont les suivants :
1) La présence d’une erreur de droit ou d’une erreur mixte de droit et de fait;
2) La considération par son auteur des conséquences juridiques de l’acte accompli;
Dans la décision rendue par le plus haut tribunal du pays, le juge Lamer traite de la pertinence de ce critère dans les termes suivants :
« En exigeant qu’un accusé ait envisagé la possibilité que sa conduite soit illégale et que, en conséquence, il cherche à obtenir conseil, nous veillons à ce que ne soit ébranlée l’incitation faite aux citoyens d’être responsables et informés. Il ne suffit pas qu’un accusé qui souhaite profiter de cette excuse présume simplement que sa conduite était acceptable »[3].
C’est donc que cette condition vise à encourager les citoyens à s’informer de la légalité de leurs gestes avant de les poser.
3) Le fait que l’avis obtenu provenait d’une personne compétente en la matière;
Ici, la personne raisonnable doit croire que l’individu de qui provient l’avis est habileté à le donner. Ainsi, il ne serait pas possible d’invoquer l’erreur de droit provoquée par une personne en autorité à la suite d’un avis erroné de la part d’un policier en matière d’urbanisme, par exemple.
4) Le caractère raisonnable de l’avis;
Évidemment, l’avis ne doit pas sembler totalement extravagant ou fantasque, ce qui serait le cas si un employé de la Société de l’assurance automobile du Québec (S.A.A.Q.) suggérait à un citoyen qu’il peut rouler à 200 km/h sur l’autoroute.
5) Le caractère erroné de l’avis reçu;
Dans la décision Sept-Îles (Ville de) c. Hémond, l’honorable Louise Gallant cible à-propos l’importance de ce critère :
« À cette étape, il importe de vérifier s’il y a vraiment eu avis erroné, l’absence d’information ne pouvant donner lieu à cette excuse »[4].
Un citoyen ne peut donc rien déduire de la passivité d’une personne en autorité : un avis doit explicitement être donné.
6) L’accomplissement de l’acte sur la base de cet avis.
Cette condition vient empêcher l’invocation de l’erreur de droit provoquée par une personne en autorité lorsque l’accusé a préalablement reçu un avis d’infraction, celui-ci étant considéré comme contenant les bonnes informations[5].
Dans tous les cas, la défense d’erreur de droit provoquée par une personne en autorité peut être invoquée tant en matière criminelle que réglementaire[6]. Ainsi, elle n’est pas seulement réservée aux crimes les plus graves et pourrait donc notamment être plaidée à la suite de la violation d’un règlement municipal, que ce soit en matière de zonage, d’urbanisme ou encore d’aménagement. Il est donc requis des personnes placées en position d’autorité d’agir avec prudence.
Gabriel Roussin-Léveillée, étudiant en droit
Juriseo Avocats
227, boul. des Braves, suite 201
Terrebonne (Québec) J6W 3H6
www.juriseo.ca | 1-877-826-6080
[1] Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, art. 19.
[2] R. c. Jorgensen, [1995] 4 R.C.S. 55.
[3] Id, par. 29.
[4] Sept-Îles (Ville de) c. Hémond, 2011 QCCS 14139, par. 49.
[5] Id, par. 53.
[6] Lévis (Ville) c. Tétreault, 2006 CSC 12.