Pour le consommateur, le web regorge d’une foule d’informations permettant de réaliser des choix éclairés. Quel restaurant choisir, cette coiffeuse est-elle talentueuse, qu’en est-il de cet électricien? En quelques clics, on trouve réponse à ces questions par le biais de divers sites, qui nous indiquent si le service dont on a besoin sera donné de façon professionnelle et si le jeu en vaut la chandelle.
Qu’en est-il, toutefois, pour le prestataire de service? Sous le couvert de l’anonymat, des commentateurs peu soucieux et insatisfaits peuvent mener à mal la réputation d’une entreprise. Pire encore, par plaisir ou vengeance personnelle, il est possible d’inventer les pires infamies pour ruiner à jamais la réputation d’un commerçant.
Dans ces situations, qui ne peuvent que se multiplier en cette ère des réseaux sociaux, des propos dénués de fondements laissés par des usagers peuvent-ils constituer de la diffamation?
Il convient tout d’abord de définir ce qui constitue de la diffamation. La définition généralement reconnue par les tribunaux est que la diffamation « consiste dans la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables »[1].
Deux droits fondamentaux s’opposent dans l’évaluation de la légitimité de propos diffamatoires : le droit de l’internaute-consommateur à sa liberté d’expression et le droit de l’entreprise ou du prestataire de service à la sauvegarde de sa réputation.
La Cour d’appel du Québec a, en 2015, bien illustré cette opposition en réitérant que la liberté d’expression est limitée, entre autres, par le droit à la réputation :
[30] La Cour suprême a d’ailleurs maintes fois reconnu le rôle crucial de la liberté d’expression dans notre société démocratique. Cependant, comme tout droit fondamental, la liberté d’expression n’est pas absolue; elle est limitée, entre autres, par le droit à la réputation. Comme il n’existe pas de point d’équilibre parfait entre la protection de la liberté d’expression et de la réputation, les tribunaux doivent considérer l’atteinte à la réputation alléguée en portant une attention particulière au contexte et, dans certains cas, la tenue d’opinions même exagérées peut être tolérée, tel que le signale la juge Deschamps dans l’arrêt Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc. :
[31] Le juge chargé de l’évaluation de la faute impose à l’auteur des propos le comportement qu’une personne raisonnable aurait eu dans les circonstances. En matière de diffamation, le juge tient compte du droit à la liberté d’expression de l’auteur des propos. Il tolérera même, dans certains cas, que celui-ci ait émis des opinions exagérées.
Proulx c. Martineau, 2015 QCCA 472 (CanLII), http://canlii.ca/t/ggqm2.
À la lumière de ce jugement, on comprendra qu’un commentaire sévère et exagéré de la part d’un internaute ne constituera pas nécessairement de la diffamation. L’analyse des commentaires négatifs dépendra nécessairement du contexte et de la gravité de ces derniers, et, pour être qualifiés de diffamatoires, le citoyen ordinaire devrait considérer que les propos affectent la réputation de la personne visée, comme le souligne la Cour Suprême dans l’affaire Prud’homme c. Prud’homme :
Il faut, en d’autres termes, se demander si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation d’un tiers. À cet égard, il convient de préciser que des paroles peuvent être diffamatoires par l’idée qu’elles expriment explicitement ou encore par les insinuations qui s’en dégagent.
Prud’homme c. Prud’homme, [2002] 4 RCS 663, 2002 CSC 85 (CanLII), http://canlii.ca/t/1g2w4.
Ainsi, des commentaires haineux, mais tellement exagérés qu’ils en deviennent risibles, peuvent ne pas constituer de la diffamation, n’ayant pas atteint la réputation de la personne visée, puisque le citoyen ordinaire ne les prendrait pas au sérieux.
Il semble donc évident que des commentaires hautement négatifs visant une personne ou une industrie peuvent constituer de la diffamation, si cela affecte le regard que le citoyen ordinaire porte sur la victime. Cependant, malgré l’existence de propos jugés diffamatoires, leur diffusion doit constituer une faute de la part de leur auteur pour qu’il existe une possibilité de recours civile. En effet, sans faute, pas de possibilité de réclamer des dommages.
Des propos peuvent ainsi attaquer la réputation d’une personne, nuire à leur crédibilité et les présenter sous un mauvais jour, bref, avoir un caractère diffamatoire, sans que leur diffusion constitue une faute, par exemple si la critique est légitime et les allégations fondées. Ainsi, une critique légitime, bien que sévère ou exagérée, ne pourra être considérée comme une faute de la part de son auteur, même si elle affecte la réputation d’un individu. Le recours en diffamation ne peut être utilisé comme prétexte pour bâillonner ses opposants.
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Source :
[1] Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles Inc., 1994 CanLII 5883 (QC CA)