Vous êtes en union de fait et vous travaillez depuis plusieurs années pour la compagnie de votre conjoint (e), et ce, à titre gratuit, sans aucune rémunération? Vous ne travaillez pas depuis plusieurs années, car vous êtes la seule personne de votre couple disponible pour vous occuper des enfants et des tâches ménagères? Il peut être intimidant, dans l’une ou l’autre de ces situations, de mettre fin à son couple, par peur de se retrouver sans aucune ressource financière.
Si vous vous retrouvez dans une situation semblable, sachez que la loi[1] permet d’intenter un recours en enrichissement injustifié, afin d’être compensé pour l’enrichissement survenu chez l’autre partie, au détriment de son propre appauvrissement.
En effet, le recours en enrichissement injustifié est régi par les articles 1493 à 1496 du Code civil du Québec, et vise à corriger les situations où une personne s’est injustement enrichie aux dépens d’une autre, sans justification légale ou contractuelle. Ce recours repose sur le principe selon lequel nul ne doit s’enrichir aux dépens d’autrui sans cause valable.
La loi[2] énonce que « celui qui s’est enrichi injustement au détriment d’autrui est tenu de réparer le préjudice qu’il lui a ainsi causé dans la mesure de cet enrichissement ». En d’autres termes, le but du recours en enrichissement injustifié n’est pas de procéder à un partage égal des actifs accumulés pendant la vie commune, mais de compenser une partie pour son apport en bien ou en services ayant permis à l’autre de se trouver dans une meilleure position financière qu’elle aurait été sans n’avoir vécu en union de fait.[3]
En droit civil, ce recours peut être invoqué dans une variété de situations, telles que les paiements indus, les transferts de propriété injustifiés, ou encore les bénéfices obtenus sans fondement légal ou moral. Or, en matière matrimoniale, ce recours est notamment disponible afin d’indemniser une partie qui se serait appauvri pendant l’union, aux dépens de l’enrichissement de l’autre partie.
Il est important de noter que le recours en enrichissement injustifié est distinct des actions en responsabilité civile traditionnelles, telles que la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle. Il ne nécessite pas l’existence d’un contrat ou d’un acte illicite pour être invoqué. Au contraire, il se fonde sur le principe de l’équité et de la justice pour rétablir un équilibre lorsque l’enrichissement d’une partie est jugé injuste.
Pour intenter un recours en enrichissement injustifié, la partie invoquant ce recours doit démontrer six (6) éléments essentiels :
(1)l’enrichissement de l’une des parties (2) l’appauvrissement de l’autre partie (3) un lien de cause à effet entre l’enrichissement d’une partie et l’appauvrissement de l’autre partie (4) l’absence de cause justificative pour cet enrichissement (5) l’absence de fraude à la loi et (6) l’absence d’autres recours disponibles. [4]
Une fois ces éléments établis, le Tribunal peut ordonner la restitution de l’enrichissement injustifié ou accorder une indemnisation équivalente au préjudice subi.
Or, il est important de préciser que ce recours n’est pas automatique. En effet, la partie intentant le recours doit généralement démontrer qu’elle a fourni un apport exceptionnel et allant au-delà de ce qu’on peut s’attendre normalement d’un(e) conjoint(e). [5]
Les Tribunaux ont aussi établi, afin d’octroyer une compensation financière à une partie, qu’il fallait évaluer la situation dans son ensemble en tenant compte du partage des tâches pendant l’union et des ententes intervenues entre les parties, le cas échéant.[6] Par exemple, si une partie a promis à une autre partie de lui payer la moitié de la valeur de la résidence familiale advenant une séparation, cela pourrait favoriser ses chances de succès à obtenir une compensation financière pour ladite résidence familiale, sous réserve de satisfaire les autres critères essentiels au recours et établis par la Loi.
En conclusion, en matière matrimoniale, le recours en enrichissement injustifié offre une voie de recours importante pour rétablir l’équité dans les relations entre conjoints de fait lorsque l’une des parties bénéficie indûment aux dépens de l’autre. Il constitue un outil essentiel pour assurer la justice et l’équité dans les transactions et les relations interpersonnelles. En effet, les conjoints mariés bénéficient d’un recours similaire, soit d’un recours en prestation compensatoire, leur permettant d’obtenir une compensation pour un apport, en biens ou en services, qui aura causé un enrichissement au patrimoine de son conjoint. Ce recours n’est, pour l’instant, disponible que pour les conjoints mariés.
Il sera cependant primordial de rester informés afin de voir l’évolution de ce recours, suivant le récent dépôt du nouveau Projet de loi 56 « portant sur la réforme du droit de la famille et instituant le régime d’union parentale ». En effet, ce projet de loi prévoit un nouveau régime, nommé l’union parentale, qui s’appliquerait à tous les Québécois en union de fait qui auront des enfants à partir du 30 juin 2025. Ce nouveau régime prévoit la constitution d’un patrimoine familial partageable entre conjoint de fait, composé de (1) la résidence familiale (2) les meubles meublants et ornant la résidence familiale et servant à la famille et (3) les véhicules automobiles servant aux déplacements de la famille, pourvu que ces biens soient acquis après la naissance de l’enfant.
Il sera également possible pour un conjoint de fait de demander une prestation compensatoire, en compensation de son apport en biens ou en services ayant servi à enrichir le patrimoine de l’autre partie. Également, les conjoints de fait bénéficieront de protections relatives à l’usage exclusive de la résidence familiale, notamment par le conjoint qui se verra attribuer le temps parental majoritaire des enfants, en cas de séparation.
Les familles ayant un enfant à partir du 30 juin 2025 seront automatiquement assujetties à ce nouveau régime. Elles pourront toutefois renoncer à l’application de ce nouveau régime, ou en moduler la portée, par contrat notarié.
Ce recours étant majoritairement une question de faits, nous vous invitons à nous contacter pour toutes questions relativement à vos droits, dans le cas où vous vous trouveriez dans une situation semblable.
[1] Article 1493 à 1496 du Code civil du Québec
[2] Article 1493 du Code civil du Québec
[3] C.L. c. J.Le., 2010 QCCA 2370
[4] Droit de la famille – 132495, 2013 QCCA 1586
[5] M.B. c. F.G., 2020 QCCA 1297
[6] J.L. c. P.A., 2007 QCCS 3059,