Dans son article du 14 juin 2024, Me Karine Bouchard exposait les trois avenues possibles par lesquelles une partie, dans un litige civil, peut demander le remboursement des frais d’avocats engagés pour mener la poursuite à terme, ou, le cas échéant, pour assurer sa défense.
Outre les cas d’abus de procédure ou de manquements importants dans le déroulement de l’instance, le remboursement des honoraires d’avocat peut être prévu contractuellement, offrant une voie additionnelle pour la récupération des frais juridiques engagés. Cette pratique est souvent intégrée dans les contrats commerciaux, les baux, et autres accords juridiques afin de préciser comment les frais de litige seront traités. Ce texte explore les principes juridiques liés à cette pratique et illustre son application à travers la jurisprudence récente.
Principes directeurs
La possibilité de prévoir une clause à même un contrat, par laquelle les frais d’avocat engagés par une partie afin de faire respecter les clauses dudit contrat seront à la charge de son cocontractant tire sa source du principe phare, en droit québécois, qu’est la liberté contractuelle et le consensualisme. Le contrat étant un échange de volonté entre deux ou plusieurs personnes, le droit contractuel québécois se base donc sur la prémisse que les signataires doivent pouvoir bénéficier de toute la latitude nécessaire afin de baliser leur relation contractuelle selon leurs besoins.
Cependant, ce principe a bien sûr ses limites. Dans un premier temps, bien que ce type de clauses soit en principe valide, pour être acceptées par les tribunaux, lesdites clauses doivent être rédigées d’une façon claire et respectueuse des exigences des articles 1373 et 1374 du Code civil du Québec[1]. En effet, pour être valide, une clause de condamnation aux frais d’avocats doit être suffisamment claire et précise pour être qualifiée de déterminable par la Cour. Ceci étant dit, une clause n’a pas besoin de citer un montant précis ou un mode détaillé de calcul pour être valide. Elle doit cependant utiliser des termes suffisamment clairs pour qu’il soit possible pour les parties d’envisager les frais qui pourront être réclamés en vertu de celle-ci.
À titre d’exemple, dans la décision Laferrière c. Entretiens Servi-Pro inc.[2], la Cour avait jugée imprécise et équivoque l’expression « frais et loyaux coûts » utilisée dans la clause de remboursement. En effet, la Cour était d’avis que les « frais et coûts » visés par la clause étaient plutôt obscurs et l’expression telle que rédigée ne permettait pas de comprendre exactement à quoi elle faisait référence.
Or, dans Vanhoutte, la Cour avait jugé suffisamment claire et déterminable la clause permettant au locateur de récupérer « tous les coûts, dépenses et frais juridiques que ce dernier encourera (sic) ou paiera pour l’exécution ou pour faire respecter l’exécution des dispositions, conditions et obligations du présent bail. ».
De plus, pour être valide :
- Le contrat dans lequel se trouve la clause doit s’avérer valablement formé, et le consentement des parties valablement donné[3] ;
- La clause ne doit pas être contraire à l’ordre public, ou prohibée par la loi[4] ;
- Finalement, il est possible, dans un contrat d’adhésion, qu’une clause puisse être jugée abusive[5].
Ces situations précises nécessitent cependant une évaluation au cas par cas, les faits de chaque affaire devant faire l’objet d’une analyse.
De plus, les tribunaux se réservent le droit d’analyser le caractère raisonnable des frais extrajudiciaires réclamés par une partie et peuvent intervenir pour modérer les réclamations ainsi validement formulées.
Jurisprudence Récente
La jurisprudence a éclairé l’application des clauses de remboursement des honoraires d’avocat en clarifiant les conditions sous lesquelles ces clauses sont appliquées.
Dans l’affaire Banque de Nouvelle-Écosse c. Davidovit, 2021 QCCA 551, la Cour d’appel du Québec a examiné le principe du remboursement contractuel des honoraires d’avocat. La Banque de Nouvelle-Écosse réclamait le remboursement des honoraires d’avocat engagés dans le cadre de l’action en justice contre M. Davidovit, invoquant une clause contractuelle qui prévoyait un tel remboursement.
La Cour a confirmé que, selon le droit québécois, une clause prévoyant le remboursement des honoraires d’avocat est valide et exécutoire, à condition qu’elle soit rédigée de manière claire et non ambiguë. Elle a précisé que le principe de liberté contractuelle permet aux parties de convenir de telles clauses, mais elles doivent être interprétées strictement et appliquées conformément aux exigences de bonne foi et de proportionnalité. La Cour a également souligné que le montant des honoraires réclamés doit être raisonnable et justifié par rapport aux services rendus.
Plus récemment, la même Cour[6] a confirmé ces mêmes principes, mettant l’emphase sur le caractère raisonnable des frais réclamés en l’instance.
Ainsi, outre les exceptions abordées ci-haut, les clauses de remboursement des honoraires d’avocat sont généralement valables tant qu’elles sont clairement rédigées et acceptées par toutes les parties. Elles doivent être spécifiques quant aux conditions qui déclenchent le remboursement, telles que la perte de la cause ou le non-respect des termes du contrat.
Les tribunaux interprètent les clauses de remboursement en fonction de leur libellé et des circonstances entourant leur inclusion. Ils cherchent à donner effet à l’intention des parties tout en respectant les principes de bonne foi et d’équité. Bien que les parties puissent convenir contractuellement de la répartition des frais, les tribunaux exercent un certain contrôle pour s’assurer que les clauses de remboursement ne sont pas abusives ou excessivement onéreuses. Dans ces cas, un Tribunal pourrait réduire le montant de la réclamation.
Conclusion
Les clauses de remboursement des honoraires d’avocat prévues contractuellement jouent un rôle crucial dans la gestion des litiges en offrant une sécurité financière aux parties impliquées. Les principes juridiques fondamentaux de validité, d’interprétation et de discrétion judiciaire guident l’application de ces clauses. Les tribunaux veillent à ce que ces clauses soient appliquées de manière équitable et en accord avec les intentions des parties contractantes. Pour éviter des litiges ultérieurs, il est essentiel que les clauses de remboursement soient rédigées avec précision et clarté, reflétant fidèlement les accords des parties.
Nos avocats sont disponibles afin de vous assister pour la rédaction de telles clauses, ou pour vous conseiller quant à l’application d’une clause de remboursement des honoraires d’avocat dans un contrat auquel vous êtes partie.
[1] Groupe Van Houtte inc. (A.L. Van Houtte ltée) c. Développements industriels et commerciaux de Montréal inc., 2010 QCCA 1970, para. 119;
[2] 2005 QCCA 1218;
[3] Articles 1385 C.c.Q. et suivants
[4] Article 1411 C.c.Q.
[5] 1437 C.c.Q.
[6] Services financiers Caterpillar limitée c. Gilbert, 2024 QCCA 11