Introduction
Peut-on obtenir le remboursement de ses frais d’avocats en cas de poursuite? Voilà une question qui suscite beaucoup l’intérêt des justiciables, et ce, surtout dans le contexte économique actuel. Or, la réponse n’est pas si simple et mérite certaines nuances. Le présent article tentera de démystifier les différentes avenues ouvertes aux justiciables afin d’obtenir un remboursement ou un paiement de leurs honoraires judiciaires.
3 avenues possibles
La loi québécoise ne permet normalement pas aux justiciables d’obtenir un remboursement de leurs honoraires d’avocats, et ce, à l’exception de certaines situations bien précises. En effet, une partie pourrait avoir droit au remboursement de ses honoraires extrajudiciaires dans les cas d’abus de procédure, lorsque cela est prévu par une législation spécifique par exemple en vertu de la Loi sur le divorce et la Loi sur les sociétés par actions ou finalement lorsque cela est prévu contractuellement. Le présent article traitera de la première avenue possible pour les justiciables, soit la condamnation d’une partie aux honoraires extrajudiciaires en cas d’abus de procédure.
Cadre juridique applicable
L’article 51 du Code de procédure civile du Québec constitue le fondement légal régissant le remboursement des frais extrajudiciaires en cas d’abus. Conformément à cet article, les tribunaux sont habilités à tout moment à déclarer qu’un acte de procédure est abusif et à imposer une sanction en conséquence. Parmi ces sanctions pouvant être prises, figure le remboursement des honoraires extrajudiciaires.
- Premièrement, si un abus est constaté, le tribunal pourra ordonner à la partie ayant présenté l’acte abusif de verser à l’autre partie une provision pour les frais de l’instance, dans la situation où le tribunal reconnaît que, sans assistance, la partie concernée risque de se retrouver dans une situation économique l’empêchant de défendre valablement ses intérêts.[1]
- Deuxièmement, si le tribunal reconnaît qu’une partie commet ou a commis un abus, il peut également la condamner à verser des dommages-intérêts à l’autre partie afin de réparer le préjudice qu’elle a subi en raison de cet abus. Ces réclamations peuvent notamment viser à compenser les honoraires et les dépenses encourues par cette dernière.[2]
Jurisprudences et principes
Il est maintenant important d’examiner ce qui constitue un abus en droit québécois. À cet égard, la jurisprudence québécoise offre une perspective sur l’application concrète de l’article 51 à travers des décisions qui ont influencé la compréhension de ce cadre légal.
Dans Viel c. Entreprises immobilières du terroir Ltée., le tribunal a établi la distinction fondamentale entre l’abus de droit sur le fond du litige et l’abus de droit d’ester en justice. Il est important de faire cette distinction, car l’article 51 du Code de procédure civile du Québec prévoit uniquement des sanctions pour l’abus de procédure et non pour l’abus sur le fond du litige.
- Lorsqu’une partie multiplie les procédures judiciaires en poursuivant inutilement et abusivement un débat judiciaire, il s’agit d’un abus de procédure. À titre d’exemple, un abus de procédure pourrait être le dépôt répété de demandes judiciaires sans fondement dans le seul but de retarder les procédures ou de harceler l’autre partie.
- En revanche, si une partie utilise de manière abusive ou déraisonnable un droit dans le but de nuire ou d’en tirer profit, il s’agit d’un abus sur le fond. Par exemple, lorsqu’un propriétaire invoque des motifs infondés pour retenir un dépôt de garantie, tels que des réparations mineures ou des frais injustifiés (en agissant ainsi, le propriétaire fait un usage abusif de son droit de retenir le dépôt de garantie, causant un préjudice injustifié au locataire).
Donc, les honoraires qu’une partie paie à son avocat ne peuvent pas être remboursés lorsqu’il est question d’un abus sur le fond. En effet, seul l’abus du droit d’ester en justice peut être sanctionné par de tels dommages.
Dans l’affaire Ciampanelli c. Syndicat du vêtement, du textile et autres industries, on détermine que la mauvaise foi constitue la base de l’abus de droit d’ester en justice.[3]
- En effet, une partie commet de l’abus de procédure si dès le départ, sa contestation judiciaire est de mauvaise foi : consciente du fait qu’elle n’a aucun droit à faire valoir, la partie se sert de la justice comme si elle en possédait un.
- De plus, elle commet de l’abus de procédure si bien que de bonne foi au départ, une partie réalise son erreur en cours de dossier et s’enferme dans sa malice de poursuivre inutilement le débat judiciaire.
- Elle commet aussi un abus lorsqu’elle, de mauvaise foi, elle multiplie inutilement les procédures et poursuit abusivement le débat judiciaire.
Dans Royal Lepage Commercial inc. c. 109650 Canada Ltd., on confirme que la témérité constitue aussi une source d’abus de procédure. La témérité est le fait de mettre de l’avant un recours ou une procédure alors qu’une personne raisonnable et prudente, placée dans les circonstances connues par la partie au moment où elle dépose la procédure ou l’argumente, conclurait à l’inexistence d’un fondement pour cette procédure. Il s’agit d’une norme objective, qui requiert non pas des indices de l’intention de nuire ou de mauvaise foi, mais plutôt une évaluation des circonstances afin de déterminer s’il y a lieu de conclure au caractère infondé et abusif d’une procédure.
Dans Roman c. St-Jean-sur-Richelieu, l’accent est mis sur l’évaluation des comportements de la partie accusée d’abus de procédure. Cette affaire souligne l’exigence pour les demandeurs de fournir une preuve convaincante et documentée de l’abus, illustrant ainsi la mauvaise foi ou la témérité de cette partie. En effet, une simple erreur ou confusion de la part d’une partie ne suffit pas à constituer un abus de procédure, car l’intention de nuire ou le caractère déraisonnable de cette partie doivent être prouvés.
La décision Lubecki c. Lubecki confirme que, en cas d’abus de procédure, le juge d’instance dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour évaluer une conduite déraisonnable et pour décider de l’ordonnance de remboursement des honoraires extrajudiciaires.
Conclusion
Il est indéniable que la détermination d’un abus de procédure est une tâche complexe qui requiert une preuve exhaustive auprès du tribunal. Ainsi, la déclaration d’abus ne sera obtenue que dans des cas bien précis et devant une preuve évidente d’abus d’ester en justice.
Bien sûr, les justiciables doivent faire preuve de prudence et de justesse dans la conduite de leurs litiges, sous peine de sanctions financières. Or, il est important de noter que ce n’est pas parce qu’une partie présente une version du dossier complètement contradictoire avec la vôtre qu’elle sera nécessairement déclarée abusive si elle perd. Les cas de déclaration d’abus sont plutôt l’exception et non la règle, un fait important à garder en tête lorsqu’on décide de s’engager dans le processus judiciaire.
Ceci étant dit, si vous êtes réellement victimes de poursuite complètement sans fondement, sachez que vous n’êtes pas sans option et la cour pourrait vous octroyer le remboursement de vos frais d’avocats.
Pour plus d’informations ou si vous avez des questions supplémentaires, n’hésitez pas à nous joindre.
Restez également à l’affut de nos prochains articles, lesquels couvriront les autres avenues d’indemnisations possibles soit, le remboursement ou la provision prévue par une législation spécifique comme la Loi sur le divorce et la Loi sur les sociétés par actions et le remboursement des honoraires lorsque cela est prévu contractuellement.
Me Karine Bouchard, avocate associée
kbouchard@juriseo.ca
[1] Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01, art. 53 al. 2 (5)
[2] Code de procédure civile, RLRQ, c. C-25.01, art. 54 al. 1
[3] Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art. 7