Avec l’essor des réseaux sociaux, vous avez certainement déjà entendu le terme « diffamation ». En effet, celui-ci est utilisé abondamment et de manière quasi automatique, notamment, par les internautes qui voient leur commerce ou bien leur image dépeinte d’une manière négative. Mais quelle est la définition juridique exacte de la diffamation, et ce, que ce soit dans un contexte où des écrits sont en jeu ou encore dans toute autre situation ?
Comment définir la diffamation ?
En résumé, la Cour suprême a défini la diffamation comme étant la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables et ce, tant par l’idée qu’elles expriment explicitement ou encore par les insinuations qui s’en dégagent[1].
Lorsqu’il est prouvé que la diffamation reprochée constitue une faute civile et que la personne visée en subit un préjudice, cela peut donner ouverture à un recours juridique.
À ce sujet, la décision Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc apporte les nuances précisées ci-après:
« De manière générale, la faute correspond à une conduite qui s’écarte de la norme de comportement qu’adopterait une personne raisonnable. (…) Malgré toute l’importance accordée par la Charte québécoise à la protection des droits individuels, un comportement attentatoire à un droit qu’elle garantit ne constitue pas nécessairement une faute civile. En effet, encore faut-il que l’atteinte constitue une violation de la norme objective prévue par l’art. 1457 C.c.Q. qui est celle du comportement de la personne raisonnable et qu’aucun autre motif ne limite la conclusion concernant la faute, par exemple, l’existence d’une immunité (…) ou la prise en considération de droits concurrents, comme celui de la liberté d’expression »[2] .
Ainsi, on peut dégager de cet extrait que certains facteurs doivent être pris en compte dans l’analyse de la définition de la diffamation avant d’en venir à conclure s’il s’agit effectivement d’une faute qui peut faire l’objet d’une condamnation. L’adage « la liberté des uns s’arrête là où celle des autres commence » exprime bien cette idée.
Par exemple, dans un contexte de propos diffamatoires, le droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation entre souvent en conflit avec le droit à la liberté d’expression. Le tribunal devra alors soupeser tous ces droits protégés par la Charte, lesquelles ne sont pas absolus, afin de trancher s’il est question de diffamation.
L’évaluation des dommages
Par ailleurs, l’objectif derrière une poursuite en diffamation devant les tribunaux civils a bien souvent deux volets : (i) Faire cesser l’atteinte; par exemple, en obtenant le retrait d’une publication et (ii) obtenir une réparation pour les dommages subis, notamment, quant à la réputation d’une personne.
Évidemment, lorsqu’un Tribunal conclut que des propos et/ou des écrits sont diffamatoires, il faudra dans un deuxième temps évaluer les dommages causés selon la situation d’espèce qui est présentée devant lui. Pour ce faire, la jurisprudence a établi des critères, non limitatifs, susceptibles de faciliter cet exercice contextuel :
[59] […] Huit critères guident le Tribunal dans l’évaluation de la réclamation et du quantum à accorder: (1) la gravité intrinsèque de l’acte (2) sa portée particulière sur celui ou celle qui en a été la victime (3) l’importance de la diffusion (4) l’identité des personnes qui en ont pris connaissance et les effets que l’écrit a provoqués chez ces personnes (5) le degré de déchéance plus ou moins considérable à laquelle la diffamation a réduit la victime par comparaison à son statut antérieur (6) la durée raisonnablement prévisible du dommage causé et de la déchéance subie (7) la contribution possible de la victime par sa conduite ou ses attitudes et, finalement (8) les circonstances extérieures qui, de toute façon et indépendamment de l’acte fautif, constituent des causes probables du préjudice allégué ou de partie de ce préjudice[3].
Par exemple, dans l’affaire Rioux c. Demers, le défendeur est condamné à payer au demandeur des dommages-intérêts de 1 000$ pour avoir atteint la réputation de ce dernier en publiant sur les réseaux sociaux des commentaires sur la situation financière du demandeur, sur sa physionomie et sur la disponibilité de sa conjointe en cas de rupture[4]. La cour prend notamment en compte des éléments suivants dans l’évaluation du préjudice :
- Les propos du défendeur sont diffusés sur les médias sociaux dont l’un compte plus de 60 000 abonnés;
- Ces attaques se produisent sur une courte période, mais blessent le demandeur et l’affectent dans son estime de soi;
- Les propos à l’égard de sa conjointe démontrent son insouciance sur les conséquences de ses affirmations déplacées.
Conclusion
L’essor des réseaux sociaux et la possibilité pour Monsieur-et-Madame-tout-le-monde de publier leur opinion par un simple clic a forcé le droit à s’adapter et à élaborer de nouveaux critères à prendre en compte dans les cas de diffamation via les plateformes en ligne. En effet, autrefois, les grands médias et les journalistes étaient plus particulièrement visés. Or, encore aujourd’hui, les écrits diffamatoires sont sanctionnables par la loi, que vous soyez une grande chaîne de diffusion ou bien simplement un utilisateur de la plateforme Facebook. Il faut donc utiliser ces plateformes de manière vigilante puisque les tribunaux appliquent toujours les règles générales du recours en diffamation lors de l’évaluation de la preuve présentée, en plus de tenir compte des particularités de la diffamation en ligne.
Me Céleste Anctil, avocate
canctil@juriseo.ca
[1] Prud’homme c. Prud’homme, 2002 CSC 85 (CanLII) par. 34 et 35.
[2] Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., [2011] R.C.S. 214, p. 232, par. 24.
[3] Gagné c. Fortin, 2018 QCCQ 4470 (CanLII), par 59.
[4] Rioux c. Demers, 2020 QCCQ 10829 (CanLII).